“Patrick Chauvel – 100 photos pour la liberté de la presse – Album n°69”
Editions Reporters sans frontières, Paris, 2022
Il y 30 ans, Reporters sans frontières publiait le premier numéro de sa collection 100 photos pour la liberté de la presse. Sur la couverture, on pouvait voir un jeune photographe de guerre, grièvement blessé au Cambodge lors d’un reportage. L’homme aux boucles brunes qui figure sur cette image iconique s’appelle Patrick Chauvel. Trente ans plus tard, RSF a choisi de rendre hommage à cette légende de la profession. Hommage mutuel, puisque Patrick Chauvel publie ici son premier ouvrage photographique.
De ses reportages à hauts risques, Patrick Chauvel, 50 ans de carrière et plus de 30 conflits couverts au compteur, a ramené des centaines de milliers d’images, comme autant de fragments d’Histoire.
Photographe, documentariste et écrivain, c’est un témoin inestimable de la marche du monde. L’enfer vert du Viêt Nam, les silhouettes cagoulées en Irlande du Nord, Sarajevo assiégée, le purgatoire gelé de la bataille de Grozny en Tchétchénie, Mossoul arrachée aux mains des djihadistes, les talibans après la chute de Kaboul… Patrick Chauvel partage avec RSF les images les plus emblématiques de sa longue carrière. Inlassablement, le « rapporteur de guerre » saisit sur le vif l’étincelle humaine dans la nuit des conflits. Pour que, devant ses images, nous gardions l’œil et l’esprit toujours ouverts.
Le portfolio, qui s’ouvre sur un avant-propos de Patrick Chauvel, est éclairé par des textes inédits : la guerre du Viêt Nam vue de l’autre côté de la ligne de front, par l’ancien correspondant de guerre nord-vietnamien Chu Chi Thanh ; une réflexion intime du grand Don McCullin sur sa propre carrière de reporter ; un hommage de Jean-Marc Barr, admirateur éclairé du travail de Chauvel ; un salut confraternel d’Adrien Jaulmes, prix Albert-Londres ; le texte vibrant du journaliste et écrivain Sorj Chalandon, croisé à Beyrouth ; le texte incisif d’une autre légende de la profession, James Nachtwey ; les souvenirs d’une rencontre à Sarajevo du grand reporter Rémy Ourdan ; des moments partagés en Tchétchénie par la psychiatre Frédérique Drogoul ; et l’engagement de Stéphane Grimaldi, directeur général du Mémorial de Caen.
Sur le front de Stup, dans les faubourgs à l’ouest de Sarajevo assiégée, les combats sont déchaînés. Les chars d’assaut serbes avancent face à des défenseurs de la ville armés de leur seul courage, de leur folie, et de quelques Kalachnikov. Une colonne revient de la première tranchée avec ses blessés, une autre unité prend le relais immédiatement. Les visages sont gris de poussière et d’effroi. C’est une de ces journées où, à n’importe quel moment, la ville pourrait tomber.
Un homme en santiags et en jeans déambule, un appareil photo autour du cou. A l’hôtel Holiday Inn de Sarajevo où il est arrivé quelques jours auparavant, Patrick Chauvel est pour certains depuis longtemps une légende du reportage de guerre, précédé de la réputation d’être un peu dingue et auréolé de ses « faits de journalisme » – comme on dirait des « faits de guerre » pour des combattants – au Viêt Nam, au Cambodge, au Liban ou au Salvador. Pour moi, arrivé dans la ville assiégée quelques mois auparavant et qui ne connaît encore presque rien de l’histoire de cet étrange métier, il est avant tout un homme en santiags qui débarque sur une ligne de front accompagné d’une pétillante amoureuse.
Chauvel est à l’évidence à son aise sur les champs de bataille. Il n’a en outre jamais de mépris, assez courant dans le monde contemporain, pour les hommes en armes. Il cherche à comprendre la cause qui les anime plutôt que de les juger. Il vit et travaille à hauteur d’homme. A Sarajevo, après avoir rencontré les défenseurs de la ville, il passe des jours à discuter avec les soldats qui l’assiègent. Récemment en Afghanistan, parti avec l’espoir de rejoindre une rébellion anti-talibane qui s’avèrera inexistante, il passe des jours à écouter des talibans.
Trente ans après notre première rencontre à Sarajevo, Patrick Chauvel est encore là. De la guerre des Six-Jours en 1967 à la chute de Kaboul en 2021, il continue de côtoyer les tumultes de la planète. Il est le plus ancien reporter de guerre en activité. L’outil peut changer – de la photographie au film documentaire et à l’écriture –, la passion de raconter des histoires ne s’essouffle pas. La fièvre de l’aventure demeure. C’est ainsi : après plus de cinquante ans de travail, Chauvel se lève chaque jour en se demandant où il pourrait partir. Dans un métier qui est surtout pratiqué par des jeunes gens qui, pour la plupart, s’ils survivent à une guerre ou deux, changent ensuite rapidement de chemin, lui n’envisage jamais de décrocher. Il prend son café matinal en rêvant de vallées afghanes et de jungle birmane…